Edito

Alternarchives : DIY et patrimonialisation

Conférence Zinor Day 2014

Depuis la création du « Rock and Roll Hall of Fame » à Cleveland en 1983, un projet de musée pharaonique entièrement dédié au rock, on sait que les musiques populaires issues du rock ‘n’ roll sont devenues un objet de célébration mémorielle parmi d’autres. Dans sa quête de reconnaissance, le musée de Cleveland va jusqu’à reproduire à l’identique les célèbres pyramides du Louvre dans son enceinte, comme pour mieux souligner qu’en l’absence de Chapelle Sixtine ou de grottes de Lascaux, l’Amérique est bien décidée à contribuer au patrimoine culturel de l’humanité avec les guitares saturées de ses mauvais garçons. Comme l’écrit Stéphane Malfettes, auteur de American Rock Trip (2012), un livre sur la patrimonialisation du rock aux États-Unis : « Exit une certaine tradition à l’européenne : au pays du rock, on confère le statut de trésor national à un pied de micro, une paire de santiags, un défibrillateur cardiaque… » De l’autre côté de l’Atlantique, en France, la mise en patrimoine de la culture rock semble encore balbutiante. Certes, depuis une dizaine d’années, des expositions régulières fleurissent à la Cité de la musique, et nombreuses sont les parutions de livres-souvenirs sur l’histoire d’une scène locale ou d’une salle de concerts. Mais rares sont les initiatives menées par les acteurs eux-mêmes, qui rassemblent leurs archives et les exposent pour célébrer collectivement la mémoire d’un lieu et d’une communauté réunie autour du rock. Les membres du collectif Icroacoa qui vous présentent ce projet « Alternarchives » ont été amenés, progressivement, à percevoir l’archive comme un argument de cohésion collective, de renforcement de leur capacité d’agir, une dynamique de construction démocratique et un work-in-progress, et non pas selon un processus de nostalgie ou d’enfermement sur soi. Par ailleurs, contrairement à la perspective marchande qui caractérise bien souvent les gros musées et événements à l’américaine, la valeur des objets, des documents écrits ou des documents sonores ici collectés n’est pas étalonnée en fonction d’une potentiel écho médiatique ou commercial des artistes d’ici, mais plutôt d’une mémoire collective des projets admirables portés par le collectif Icroacoa. (Par exemple les événements festivaliers comme des Lunanthropes aux Pestaculaires, ou la solidarité collective et une certaine éducation populaire exercée au quotidien). L’important ne réside pas uniquement dans les documents archivés, mais dans la pratique autonome de l’archivage, dans la logique punk du Do-it-Yourself héritée de la fin des années 1970, qui a transformé le paysage musical et permis de faire émerger de nombreux courants alternatifs et indépendants. Le DIY est un des éléments les plus marquants, décisifs des cultures rock depuis la décennie 1980, et les environs de Montaigu constitue un idéal-type du foisonnement qui a pu en découler. L’enjeu, pour gagner en aura aussi bien qu’en authenticité démocratique est de parvenir à transférer cette force politique et créatrice dans la manière d’envisager la patrimonialisation.C’est ce à quoi s’emploie, modestement mais utopiquement le projet que vous avez sous les yeux, le bien nommé « Alternarchives ». Gérôme Guibert et Emmanuel Parent, sociopunks

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